Hoang Ba (par S.Montérémal)

Publié le par bim.dijon.over-blog.com

Hoang Ba

Tu t’appelles Hoang Ba, le troisième roi. Tu t’es réveillé tôt ce matin avec un pressentiment. Ce sera l’offensive finale aujourd’hui. Ce silence-là, le calme autour des bâtiments et sur le parking nord tandis que des patrouilles circulaient sans cesse ces jours derniers.

Tu t’appelles Hoang Ba, pieds d’acier, ton instinct, c’est ce qui t’a permis de survivre et d’occuper depuis deux ans la partie centrale du magasin désaffecté, le bloc jaune, celui de l’escalier monumental

Les autres marginaux échoués comme toi au fur et à mesure des nettoyages du centre ville te reconnaissent plus ou moins comme leur chef, mais ça pourrait basculer, tourner au carnage, à la tuerie générale. Ces types-là n’ont plus rien à voir avec les doux allumés qu’ils étaient avant, quand ils se rassemblaient passage Dauphine avec leurs chiens et leurs guitares. Des fauves aux abois.

Attention, Hoang Ba, si tu peux leur jeter quelque chose en pâture, une promesse de nourriture, quelques bidons d’eau, deux trois comprimés de crack, tu pourras les tenir, sinon…

 

Cette grève des éboueurs, tu l’as vue venir, n’empêche, une sacrée poisse pour vous tous.

Depuis que les ordures ont atteint les trois mètres de hauteur sur la parking nord, les gens du centre ont peur, peur de la vermine qui va bien finir par franchir les remparts Bénigne, achevés l’automne 2015 mais déjà attaqués, fissurés par endroits, vers le Quartier du Drapeau et aussi vers l’Arquebuse, à ce qu’on a lu sur un blog récemment.

Quand on pense que ce sont les mêmes qui passaient tous leurs samedis après-midi là, avec leurs parents qui traçaient des plans de cuisine et les emmenaient manger du saumon avec boisson à volonté à la cafétéria

Mais les éboueurs ne pouvaient pas accepter ça, c’est sûr, se faire éjecter du jour au lendemain. Ca devait arriver pourtant, les robots s’étaient imposés dans le centre ville pour remplacer les hommes de la voirie après les dernières élections de 2014, c’était le point phare du programme du front anti-européen, les Robodi, une trouvaille, la panacée pour se débarrasser des ouvriers, en finir avec la lutte des classes.

Quand ce chien de directeur d’Ikéa a mis la clef sous la porte un dimanche soir comme un sale voleur après sa faillite, les employés sont restés sur le carreau, liquéfiés par la découverte le lundi matin, enragés le midi en voyant sur le site la flambée de l’action, la grande galipette sur toutes les places boursières, le soir, ils ont décidé d’occuper les locaux et de vivre sur place.

Au début c’était un mélange de désespoir et d’euphorie, on se saoulait à la vodka et à l’aquavit, le rayon literie virait au lupanar. Les patrons suédois avaient renoncé à emporter la marchandise, impossible de vider en douce 10 000 m2 de mobilier même en pièces détachées.

Les grévikéistes, comme on les a surnommés à Dijon ont balancé leurs infos sur les télés satellitaires avec leurs satelphones, leur blog a explosé tous les scores de consultations.

C’est à ce moment-là que toi, Hoang Ba, tu es arrivé comme d’autres sans papiers comme toi. Du discours de solidarité que tu as entendu tu as conclu que tu serais peut-être mieux accueilli qu’ailleurs, que tu trouverais encore une couette où t’enrouler

La cohorte des tentes rouges en loques le long du canal sur Plombières était devenue depuis longtemps un lieu infréquentable, un véritable coupe-gorge.

On avait découvert deux cadavres au fond d’une péniche abandonnée par des touristes américains dix ans auparavant. Des américains comme toi, Hoang Ba 

Pour les américains, la roue a vite tourné. Les US ont plongé depuis la crise des années 2007- 2009, une récession brutale, imprévisible, l’économie s’est écroulée plus vite qu’un stockamino, d’abord les sub primes et les banques, puis l’armée laminée en Irak et en Afghanistan, les désertions, les révoltes, l’assassinat d’Hillary Clinton par un vétéran cinglé le lendemain de son élection. Les US ont plongé dans le chaos.

Quand les premiers clandestins en provenance de Philadelphie ont été arraisonnés au large du Havre, on n’y croyait pas, maintenant on s’est habitués, ils sont des milliers partout en Europe, parqués dans des camps ou planqués dans les forêts.

T’étais avec un de ceux-là Hoang-Ba, tu t’en es bien tiré, t’as eu de la chance ou c’est peut-être à cause de gènes. L’histoire se répète, tes grands-parents avaient fait le trajet d’Est en Ouest, du Vietnam vers l’Occident cinquante ans plus tôt. Eux qui s’étaient nourris de deux cuillères de riz pourri pendant trois ans, ils avaient engraissé en vendant des téléphones portables.

D’ailleurs, t’aimes toujours les téléphones portables, Hoang Ba, tu te battrais comme un chien, jusqu’à la mort si un zonard essayait de te piquer le tien.

 

Ce silence. Tu enfiles ton tee-shirt, la puce intégrée déclenche un vrai feu d’artifice sur l’étiquette, taux d’adrénaline au maximum, neurones en fusion. Rien d’étonnant. Tu t’apprêtes à affronter l’assaut. D’abord réveiller ceux du bâtiment central, les moins déjantés, en silence, leur distribuer les armes et les masques, et puis rassembler ceux de l’entrepôt, au moins ceux qui tiennent encore debout, ceux qui redescendent de temps en temps de leur délire ,pour leur faire monter des barricades. Pas question de les armer, ceux-là, de toute façon, ils le sont déjà bien assez comme ça, avec leurs lances, leurs frondes, leurs pieux fabriqués avec le mobilier des gentils suédois. Toi, Hoang Ba pieds d’acier, c’est au corps à corps que tu combats.

Tu actives la puce et tu enregistres :

5 avril 2018

Offensive

Tu t’appelles Hoang Ba, le troisième roi, tu baises l’autel de tes ancêtres et tu ouvres la porte.

Publié dans fiction

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